Le SEW/OGBL est pour une éducation plurilingue et partage le souci du ministre de l’Education nationale d’améliorer l’apprentissage du français, mais il n’est pas d’accord avec la mise en place généralisée de mesures irréfléchies dont les effets néfastes risquent de l’emporter sur les avantages.
Le 8 novembre dernier un accord sur les lignes directrices de la politique éducative au cycle 1 a été présenté par le Ministre de l’Education nationale, l’association AIP et le syndicat SNE/CGFP. Cet accord prévoit le rapprochement entre l’école fondamentale et les services d’éducation et d’accueil ainsi qu’un nouveau concept pour le plurilinguisme au cycle 1. Selon cet accord, les enseignants du cycle 1 de chaque école devront désormais se mettre d’accord sur un concept partagé pour l’éducation plurilingue. À côté d’une sensibilisation aux différentes langues et d’une initiation au français, le développement des compétences en luxembourgeois devra rester une priorité. Alors que la mise en œuvre concrète de ce concept devra être développée par les enseignants du cycle 1 lors de leurs concertations, les principes en ont été fixés sans qu’ils aient été consultés.
Qui a persuadé le ministre du bien-fondé de cette nouvelle approche ? Est-ce qu’une étude de faisabilité a seulement été esquissée ? Dans quel cadre, avec quels enfants, avec quels enseignants ?
Pour la plupart des enseignants du cycle 1 il est évident que le Ministre ignore complètement les réalités du terrain, mais comment est-il possible qu’un syndicat puisse conclure un tel accord ?
Si le SEW/OGBL dénonce avec véhémence cette façon de procéder, c’est pour préserver une école fondamentale de qualité qui permet aux enfants d’acquérir les trois langues du pays, tout en préservant la motivation et les capacités d’apprentissage pour en acquérir encore d’autres par la suite. Nous estimons que le français et l’allemand sont des langues importantes pour les habitants du Luxembourg et que leur apprentissage est d’une importance cruciale pour l’avenir du pays, le vivre ensemble et l’enrichissement culturel de chacun. Si l’on veut habituer les enfants à interagir dans 2 langues différentes dès leur plus jeune âge, il faut les mettre dans des situations où ils ont des interlocuteurs différents qui s’adressent à eux dans ces langues.
Le SEW/OGBL est d’avis que dans un pays tellement multiculturel que le Luxembourg l’acquisition de trois langues officielles dès l’école fondamentale repose sur un équilibre fragile qui demande à être considéré avant d’entamer des expérimentations hasardeuses pouvant s’avérer désastreuses.
La plupart des études montrent que l’acquisition d’une langue seconde fonctionne différemment selon le fait qu’elle est acquise dans un milieu scolaire ou dans un contexte informel en immersion dans un milieu linguistique autre que celui de sa langue maternelle. Les jeunes enfants sont en effet particulièrement sensibles à l’apprentissage de nouvelles langues quand ils sont en contact régulier avec des personnes ne parlant que ces langues : enfants bi- ou trilingues parlant les différentes langues de leurs parents et souvent également la langue que les parents utilisent entre eux, enfants fréquentant régulièrement une crèche dans laquelle leur langue maternelle n’est guère pratiquée. Les jeunes enfants qui ont un grand besoin d’entrer en interaction avec les adultes qui les entourent adoptent spontanément la langue que ces adultes parlent. Il en va différemment du contexte scolaire où l’apprentissage demande à être structuré et basé sur différents supports pour être efficace.
Le cycle 1 se trouve justement à la croisée des chemins entre ces deux approches. Les enseignants avaient jusqu’à présent différentes missions clairement définies qu’ils poursuivaient avec une grande assiduité. Dans le domaine des langues, il s’agissait de développer une bonne maîtrise de la langue commune que constituait le luxembourgeois. Cette acquisition du luxembourgeois était basée sur des apprentissages informels en immersion soutenus par le désir des enfants à communiquer avec l’enseignant. Selon les différents contextes cet objectif n’était pas toujours facile à atteindre, les apprentissages informels étant alors soutenus par des apprentissages plus structurés, afin de garantir à tous l’accès à cette langue commune qui présentait également un objectif clair pour les enfants.
Si les enfants du cycle 1 constatent dorénavant que leur enseignant parle le luxembourgeois et le français, certes dans des situations différentes, mais dans le contexte de la classe, les petits francophones auront rapidement tendance à lui adresser la parole en français, alors que les petits luxembourgeois le feront en luxembourgeois, les autres essayant des choisir leur langue de prédilection selon le contexte des langues dominantes dans la classe. Il sera désormais difficile d’installer une langue commune pour tous. Si l’on y ajoute l’éveil aux langues visant à valoriser les différentes langues maternelles présentes dans la classe, on risque de créer une énorme cacophonie de laquelle aucune compétence linguistique véritable n’émergera.
Pour la poursuite des apprentissages aux cycles 2 à 4 il est cependant indispensable que les enfants disposent d’une bonne base linguistique dans une langue au moins et pour l’alphabétisation en allemand une bonne base en luxembourgeois ou en allemand est évidemment un atout. Les expérimentations du cycle 1 risquent alors d’avoir des incidences néfastes sur la poursuite des apprentissages des autres langues.
Le SEW/OGBL est d’avis que le sujet est trop important pour lancer ces expérimentations dans toutes les écoles en même temps sans considérer qu’il existe des situations locales fort différentes. Lors de la journée de réflexion du SEW/OGBL sur l’apprentissage des langues, les avis des enseignants divergeaient fortement selon les régions. Ne faudrait-il pas plutôt lancer une phase expérimentale dans quelques écoles choisies dans des contextes différents et former un groupe de travail pour analyser les conditions de réussite d’une telle éducation bilingue dans les différents contextes ? Il faudrait de même réfléchir aux conséquences que cette mise en place d’un bilinguisme pourrait avoir sur l’organisation des apprentissages des différentes langues aux cycles 2 à 4.
Le SEW/OGBL est prêt à collaborer à une telle réflexion nourrie par les expériences du terrain.
Communiqué par le syndicat Education et Sciences (SEW) de l’OGBL le 6 décembre 2016
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