Retour sur le déroulement précis de la tripartite

→ 9.03
Alors que depuis plusieurs jours déjà circule la rumeur selon laquelle le gouvernement aurait l’intention de convoquer une tripartite en raison de la flambée des prix de l’énergie, la confirmation arrive sous forme d‘un appel téléphonique passé par le ministre de l‘Economie, Franz Fayot, à la présidente de l‘OGBL, Nora Back. Oui, le gouvernement envisage de convoquer une tripartite encore avant Pâques et il y sera question des prix de l‘énergie. Mais surtout et avant tout de l‘index qui, dans la situation actuelle, «briserait la nuque» des entreprises. Nora Back réplique sans équivoque qu‘une nouvelle discussion sur l‘index constitue une ligne rouge pour l‘OGBL et met le ministre de l’Economie explicitement en garde, en lui rappelant que par le passé, son parti a souvent été le garant de l‘index.

→ 10.03
Le ministère d‘Etat confirme qu‘une tripartite aura bien lieu avant les vacances de Pâques. Auparavant, le Premier ministre souhaite rencontrer les syndicats et le patronat, séparément, dans le cadre de «bipartites».

→ 11.03
Un séminaire du Bureau exécutif, prévue de longue date, est immédiatement transformée en réunion préparatoire en vue de la tripartite et des nouvelles attaques contre l‘index qui sont à craindre.

→ 14.03
Les trois syndicats représentatifs au niveau national — OGBL, LCGB et CGFP — s’échangent sur une ligne commune en vue des prochaines réunions tripartites.

→ 21.03
La «bipartite» a lieu au ministère d‘État. Initialement, le Premier ministre Bettel souhaitait recevoir les trois syndicats séparément, mais ces derniers refusent. L’état d’esprit du gouvernement est déjà manifeste à ce stade.

Trois mois seulement après avoir expliqué lors de la précédente tripartite: «Non, Monsieur Reckinger, ce gouvernement ne touchera pas à l‘index», Xavier Bettel reprend la vieille rengaine de son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, selon laquelle l‘index serait socialement injuste et qu’il devrait être plafonné ou en tout cas remanié. Bettel va même jusqu‘à affirmer, de façon absurde, que l‘index «rend les pauvres toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches». L‘OGBL insiste au contraire sur le fait que le renforcement du pouvoir d‘achat et des mesures contre l‘inflation devraient être discutés lors de la tripartite et non pas l‘index.

L‘après-midi se tient une réunion extraordinaire du Comité national de l‘OGBL. La délégation de l‘OGBL envoyée à la tripartite reçoit un mandat clair et unanime: s‘opposer à toute attaque contre l‘index.

→ 22.03
Premier jour de la tripartite. La réunion tripartite débute tranquillement: par l‘analyse de la situation économique et sociale. C‘est par ailleurs ce que prescrit la loi encadrant la tripartite. La présentation est un peu austère: après une introduction de Xavier Bettel, Franz Fayot explique que l‘économie se porterait mal et que les perspectives seraient sombres. Le ministre de l‘Économie annonce que le Statec estime désormais que la tranche indiciaire (index) suivant celle d’avril ne sera pas déclenchée au plus tôt en octobre comme annoncé encore début mars, mais dès le mois d‘août, ce qui est quelque peu surprenant. Dans la foulée, la ministre des Finances, Yuriko Backes, assure que les finances publiques se porteraient mal et que les perspectives d‘avenir seraient sombres.

C‘est ensuite au tour de l‘UEL qui se présente cette fois-ci avec une délégation comprenant sept personnes qui toutes assurent que leur secteur se porterait mal et que les perspectives d‘avenir seraient sombres, la faute en reviendrait avant tout à l‘index. Après plus de quatre heures de sombres tableaux, on permet à Nora Back de présenter également l‘analyse de la situation telle que la voient les syndicats. Elle insiste sur le fait qu’il ne faudrait pas oublier que les gens souffrent également, que face à la flambée des prix, nombre d’entre eux ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, à quoi s’ajoutent les pertes de pouvoir d‘achat subies lors de la pandémie (p. ex.: chômage partiel) et la crise du logement permanente. S‘il est vrai qu’en raison des prix élevés de l‘énergie et des problèmes que connaissent les chaînes d‘approvisionnement, certaines entreprises rencontrent des difficultés et ont besoin de soutien, dans l‘ensemble il fait noter que de nombreux secteurs ont enregistré des chiffres d‘affaires record en 2021 et que la situation des finances publiques est également bien meilleure que ce que l‘on craignait en 2020.

Les échanges reprennent après le dîner avec les catalogues de revendications respectifs. C’est d’abord au tour de l‘UEL qui, outre des aides publiques aux entreprises énergivores, ne s‘intéresse avant tout qu‘à une seule chose: l‘index doit être aboli. Les deux tranches d‘indexation prévues pour 2022 devraient être purement et simplement annulées et si une tranche devait également encore tomber en 2023, le mieux serait de la supprimer directement aussi. C‘est alors que Michel Reckinger a un «éclair de génie»: pour les bas et moyens salaires, on pourrait éventuellement verser une sorte de «prime unique» échelonnée socialement — financée évidemment par les caisses de l’Etat, et non par les entreprises elles-mêmes.

C‘est ensuite à nouveau à Nora Back, qui présente le catalogue de revendications syndicales commun. Alors que les représentants du gouvernement avaient encore sagement écouté lorsque le patronat avançait sa revendication tout de même assez outrancière, visant à abolir l‘index et à le faire payer par le contribuable lui-même, deux ministres des Verts en particulier — Turmes et Bausch — interrompent désormais constamment la présidente de l‘OGBL. Ils se disent «choqués, choqués!» par des revendications telles que la réduction de la TVA et des accises sur les produits énergétiques ou bien encore la revendication visant à adapter le barème fiscal à l‘inflation («savez-vous ce que cela coûte!»).

Lors de la discussion qui suit, en particulier les ministres LSAP — Lenert, Engel et Fayot — expriment leur soutien à la proposition de l‘UEL quant à une «prime unique» qui pourrait être plus élevée pour les bas salaires que pour les salaires moyens et totalement absente pour la frange représentant les 40% supérieurs de l‘échelle des salaires. Le Premier ministre Bettel demeure lui en revanche encore relativement discret.

La première journée s’achève, sans résultat, vers 22h30. Le Premier ministre convoque aussitôt une nouvelle réunion pour le lendemain.

→ 23.03
Deuxième jour de la tripartite. Xavier Bettel ouvre la tripartite — alors qu’on vient tout juste de servir des lasagnes — en déclarant qu’avec ce gouvernement, la suppression de l’index est hors de question. Il ne serait absolument pas question non plus d’envisager le non-versement de la tranche d’avril. MAIS, la tranche d’août serait vraiment très proche de la tranche d’avril, et trois tranches en l’espace de 12 mois seraient vraiment difficiles à supporter pour les entreprises (le fait que la perte de pouvoir d’achat en raison de la forte inflation soit également difficile à supporter pour les salariés et les retraités, n’est pas mentionné). C’est pourquoi le gouvernement serait prêt à reporter la tranche d’août de 12 mois, jusqu’à août 2023. Pendant ce temps, le gouvernement ne compenserait pas seulement la perte de pouvoir d’achat pour les bas et moyens salaires, il la surcompenserait.

Le patronat s’indigne que le gouvernement ne veuille reporter qu’une seule tranche indiciaire — les entreprises auraient besoin de prévisibilité! Si le gouvernement et les syndicats devaient refuser une manipulation plus conséquente de l’index, de préférence jusqu’en 2026, l’UEL «romprait la paix sociale» (quoi que cela puisse vouloir dire).

Le gouvernement se retire et revient 1 heure et demie plus tard avec une solution de «compromis»: la tranche d’août devrait effectivement être payée en avril 2023, mais ensuite, il faudrait prévoir que jusqu’à début 2024, pas plus d’une tranche indiciaire n’ait à être payée en l’espace de 12 mois. Les syndicats expliquent à leur tour que cela n’est pas acceptable. Ils se disent prêts, éventuellement, à discuter du report d’une tranche, sous réserve que le montant de la «surcompensation» qui à ce stade reste encore à négocier soit suffisamment élevé par rapport à la perte de revenu consécutive au report de la tranche indiciaire. Ce sera le dernier mot de cette deuxième journée de tripartite, avant que Xavier Bettel ne lève la séance et ne fixe une prochaine réunion pour le jeudi 31 mars, au cours de laquelle un accord définitif devrait — ou non — être trouvé. D’ici là, des discussions doivent être menées avec les différents ministres compétents.

Par ailleurs, le gouvernement a également mis d’autres mesures sur la table, même si la réunion a été complètement obscurcie par la discussion portant sur l’index: le gouvernement a repris du catalogue syndical la revendication portant sur le gel temporaire des loyers et — à la dernière minute — celle relative à la compensation pour l’augmentation de la taxe CO2 au niveau du crédit d’impôt. La TVA et les accises ne seront pas suspendues, mais un rabais de 7,5 cents est accordé sur l’essence, le diesel et le mazout. Le paquet comprenait également des mesures de toute façon déjà décidées, à savoir l’augmentation de la subvention au loyer et la réforme de la «PrimE House». Enfin, la proposition du gouvernement comprenait un paquet de subventions pour les entreprises, qui à ce stade devait coûter 180 millions d’euros, montant qui — sans explication — est passé à 225 millions d’euros ultérieurement au cours de la tripartite.

La journée s’est achevée par une conférence de presse, au cours de laquelle aussi bien le Premier ministre que Nora Back ont tous deux souligné que les discussions avaient été constructives, mais qu’il n’y avait pas encore d’accord définitif. En revanche, la présentation de la proposition gouvernementale a donné, à une grande partie de la presse, l’impression tout à fait fausse qu’il s’agissait là déjà d’un accord et qu’il ne restait plus que des «détails techniques» à régler. Tel était vraisemblablement le but recherché – mais en aucun cas la réalité!

→ 25.03
Parallèlement à une visioconférence avec les ministres Kox et Turmes portant sur les mesures relatives à l’énergie et au logement, où des améliorations ponctuelles ont encore pu être décidées, une première réunion a eu lieu ce même jour au ministère des Finances, au cours de laquelle le montant et le principe de la compensation sous forme de crédit d’impôt ont été discutés. Il s’est avérait assez rapidement qu’il y avait de considérables divergences entre le gouvernement et les syndicats, non seulement en ce qui concerne le montant, mais aussi les pertes à compenser. En effet, pour les syndicats, il s’agissait en priorité de compenser la perte de pouvoir d’achat résultant du report de la tranche indiciaire, alors que pour le gouvernement, il s’agissait de compenser la perte de pouvoir d’achat subsistant après avoir déduit toutes les autres aides existantes et les décisions de la «Table énergétique» («Energiedësch») — un montant évidemment beaucoup plus faible. Les discussions au ministère des Finances se sont poursuivies le dimanche matin (!!), 27 mars, et le lundi 28 mars — sans résultat.

→ 29.03
Le Comité national de l’OGBL se réunit à l’Hémicycle au Kirchberg. Après un rapport détaillé de la présidente sur les négociations tripartites, le Comité national rejette à l’unanimité la proposition du gouvernement sur la table à ce moment-là. Par 84 voix contre 3 (et une abstention), il donne à la délégation de négociation le mandat de continuer à négocier en direction d’une véritable surcompensation pour le report de la seule tranche indiciaire d’août 2022 à avril 2023, mais en aucun cas d’accepter une manipulation de l’index allant au-delà.

→ 30.03
A la quatrième et dernière réunion au ministère des Finances — surprise — se présentent également Xavier Bettel, Paulette Lenert, Franz Fayot et François Bausch. Ils rejettent la contre-proposition des syndicats introduite entretemps — car «hors de prix» — et font une nouvelle proposition, sur base du même volume budgétaire: une indemnité beaucoup plus élevée sous la forme d‘un chèque énergie, mais qui ne serait versée qu‘aux seuls salariés et pensionnés résidant au Luxembourg. Les syndicats, rejettent cette proposition avec indignation, car elle constitue une discrimination inacceptable à l’encontre des frontaliers. Les syndicats rejettent tout aussi clairement une nouvelle proposition suivant laquelle une partie de l‘indemnité serait versée à tous les salariés et une autre partie exclusivement aux résidents. Le Premier ministre décide de convoquer une réunion tripartite à Senningen pour 18 heures.

Les syndicats y présentent une nouvelle contre-proposition moins élevée, que le gouvernement rejette à son tour, la jugeant toujours trop chère. Après plusieurs consultations entre les différentes parties, le gouvernement présente finalement sa «dernière» proposition, qui ne prévoit qu‘une légère augmentation du crédit d‘impôt (pour un salaire minimum, le montant est même inférieur à ce qu‘il était encore le lundi matin), sans que l‘effort budgétaire calculé ne soit significativement plus élevé que précédemment. Des mesures sont ensuite annoncées pour les étudiants et les bénéficiaires du REVIS, sans être expliquées pour autant. Le gouvernement s’obstine également à ce que la manipulation de l‘index soit maintenue jusqu‘au début de l‘année 2024.

Vers 23h30, la présidente de l’OGBL explique que son syndicat ne peut pas accepter la proposition qui est sur la table, car la manipulation ne se limite pas à une seule tranche et que par ailleurs, la compensation proposée pour les petits et moyens revenus est insuffisante pour justifier le franchissement de la ligne rouge, à savoir le décalage de l‘index. L‘OGBL ne peut donc pas signer un accord tripartite dans ces conditions.
Les présidents des deux autres syndicats, Dury et Wolff, qui jusqu‘alors faisaient front commun avec l‘OGBL, jugent que la proposition du gouvernement est acceptable, mais souhaitent convoquer leurs instances le lendemain avant de signer l‘accord.

→ 31.03
Pour la première fois dans l‘histoire, un accord «tripartite» (en réalité un accord 2-½-partite) est signée sans le syndicat de loin le plus important au Luxembourg, l‘OGBL.

 


>> Pas de manipulation de l’index avec l’OGBL!