La manipulation superflue de l’index, payée avec l’argent de nos impôts !

Le Non de la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg aux revendications du patronat et du gouvernement lors de la tripartite était juste, logique et nécessaire. Une autre décision, qu’il s’agisse d’un accord ou d’une abstention, aurait été contraire à la défense syndicale des intérêts du salariat au Luxembourg.

Ceux qui violent les accords attisent les conflits sociaux

Un dialogue social constructif dans le cadre de la tripartite suppose que le gouvernement  respecte les accords et les engagements politiques qu’il s’est lui-même fixés comme cadre d’action politique.

Le fait est qu’après des années de manipulation inutile de l’index par le gouvernement CSV/LSAP, le gouvernement DP/LSAP/Déi Gréng s’est engagé le 25 juin 2014, dans le cadre d’un accord avec les syndicats représentatifs au niveau national, à respecter une ligne directrice de la politique gouvernementale sur la question de l’index, qu’il a maintenant violée unilatéralement le 30 mars 2022.

« Le gouvernement prévoit que 12 mois devraient s’écouler en moyenne entre deux tranches indiciaires dans les 5 années à venir », faute de quoi « les partenaires sociaux se concerteront sur les mesures à prendre ». (accord du 25 juin 2014).

Cet accord a été confirmé pour la période de la 2e mandature du gouvernement dans l’accord de coalition 2018-2023 : « Le système actuel d’indexation automatique des traitements, salaires, pensions, rentes et autres indemnités et montants généralement adaptés, sera maintenu. » (Accord de coalition 2018-2023, p.131)

Lors de la tripartite, le gouvernement n’a pas respecté son propre accord et a ignoré son accord avec les syndicats.

Selon cet accord, outre la tranche indiciaire d’avril 2022, la tranche indiciaire suivante aurait dû être appliquée sans faille. Ce n’est qu’ensuite que le deuxième point de l’accord, à savoir la discussion avec les partenaires sociaux, deviendrait d’actualité.

Quelle est donc la valeur d’une règle du jeu flexible (en l’occurrence la moyenne sur 12 mois dans le cadre d’une période de référence de cinq ans) si, après de nombreuses années marquées par une inflation historiquement faible, cette règle est violée, ignorée et supprimée à la première oscillation dans l’autre sens?

La réponse à cette question est : aucune valeur du tout !

En d’autres termes, l’accord et l’engagement du gouvernement ne valaient pas le papier sur lequel ils ont été écrits !

Ce faux-pas du gouvernement contre sa crédibilité et sa prévisibilité en tant que partenaire de négociation digne de confiance est difficile à comprendre pour une autre raison. Les acteurs qui ont boycotté l’accord de 2014, à savoir l’UEL et les organisations patronales, sont maintenant confirmés et récompensés a posteriori dans leur attitude de refus par le gouvernement.

Le principe est le suivant : pour les représentants du gouvernement, il n’y a ni l’excuse du trou de mémoire politique, ni la grâce d’une nomination tardive au poste de ministre.

C’est la deuxième fois que le gouvernement actuel viole des accords avec la partie syndicale. Ce non-respect du dialogue social et de l’importance des accords en la matière conduit inévitablement à la perte de confiance qui ouvre la voie aux conflits sociaux.

Outre la violation, c’est-à-dire la non-application de l’accord susmentionné, se pose bien entendu la question de son contenu :

Cette manipulation de l’index est-elle nécessaire sur le plan économique et social ou bien cette manipulation de l’index est-elle l’expression d’une opportunité politique ?

Pour rappel : déjà fin 2021, donc avant le déclenchement de l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, s’est produit ce contre quoi l’OGBL avait mis en garde. Après une période d’inflation historiquement basse, le patronat a senti le vent tourner dès la première hausse du taux d’inflation et a immédiatement attaqué l’index.

Le directeur de la Chambre de commerce a d’abord tenté de faire avaler au pays son « indice durable » et a exigé que l’indice devienne un instrument d’éducation pour le comportement d’achat de la population. L’OGBL a été la seule voix discordante à commenter cette absurdité. En réponse aux autres provocations du patronat contre l’index, le gouvernement « promit » à son tour de ne pas toucher à l’index.

Les retenues politiques sont tombées avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cette opportunité bienvenue pour attaquer l’index et les salaires ne pouvait pas être manquée !

La solidarité de la population luxembourgeoise et son émotion humaine face aux événements contre l’existence du peuple ukrainien et de son État ont été politiquement instrumentalisées pour s’attaquer à nos acquis sociaux.

Avant même le début de la tripartite, l’attaque contre l’index avait déjà été décidée par le gouvernement.

Ensuite, lors des négociations tripartites, un principe important des discussions n’a pas été respecté. Le gouvernement n’a pas soumis d’analyse économique et sociale détaillée à l’expertise des parties aux négociations.

L’OGBL avait pourtant annoncé sa volonté de soutenir les entreprises ou les secteurs économiques menacés ou déjà exposés à des difficultés économiques dues à une production intensive en énergie ou à des chaînes d’approvisionnement perturbées. Alors que certains secteurs économiques, comme l’industrie ou les transports, auraient dû être au centre de la discussion, cela n’était moins, voire pas du tout nécessaire pour d’autres secteurs.

Mais une analyse différenciée n’entrait pas dans les calculs des partis politiques du gouvernement, car une telle analyse aurait rendu absurde l’attaque générale contre l’indexation des salaires. Un exemple frappant est le secteur des banques et des assurances, qui n’est impacté économiquement ni par les prix de l’énergie ni par une rupture de quelques chaînes d’approvisionnement.

L’organisation patronale ABBL a tenté de résumer les « difficultés économique » du secteur par une déclaration ridicule : « Comment allons-nous expliquer à nos maisons mères étrangères l’échéance des tranches indiciaires ? » Difficile à croire, mais vrai, que ces gens intelligents n’aient pas eu l’idée d’utiliser l’exercice 2021, en hausse de 30 %, comme support argumentatif.

Et même dans le secteur industriel, où la part des salaires dans les coûts de production est inférieure à 20 % et où, par exemple, ArcelorMittal a fait état avec beaucoup de fierté de son excellent exercice 2021, une analyse pertinente de la situation économique actuelle aurait difficilement permis de conclure à la nécessité de manipuler l’Index.

Paquet de redistribution du bas vers le haut

C’est surtout dans le secteur financier et bancaire que l’on voit à qui est destiné le « paquet de solidarité » du gouvernement et des autres signataires de l’accord tripartite. Les actionnaires de ce secteur se taillent la part du lion dans les millions d’euros soustraits au salariat par la manipulation de l’Index. Ne serait-il pas plus approprié d’utiliser le terme de « paquet de redistribution du bas vers le haut » pour désigner ce que l’accord tripartite a décidé ?

L’attaque contre les salaires et autres éléments de revenus indexés détériore la situation des revenus des salariés et des pensionnés et elle ne contribue en RIEN à la stabilisation de la situation économique.

Pire encore, les conséquences de l’accord tripartite ouvrent un fossé social conflictuel qui pèse sur les relations sociales au Luxembourg et qui risque, le cas échéant, d’évoluer jusqu’à la remise en cause de la paix sociale.

Le coup bas porté à l’une des trois lois salariales du Luxembourg ouvre très probablement une phase prolongée de lutte salariale. Ou bien quelqu’un croit-il encore sérieusement, au vu de ce qui s’est passé, que les revendications du patronat et de ses alliances politiques dirigées contre l’index vont s’atténuer et se calmer ?

C’est dans ce contexte qu’il faut discuter du report inacceptable ou de la remise en question d’autres tranches indiciaires, que cet « accord tripartite » approuve. Une manipulation de l’Index qui risque de dépasser celle de l’ère Juncker-Krecké.

Augmentation des impôts en comparaison à ce qui reste du montant net de l’index. Une deuxième manipulation de l’index par le gouvernement

Un autre point bas des négociations tripartites a été la tentative de légitimer la manipulation de l’index au moyen du soi-disant « modèle de compensation » financé par l’État pour une partie des salariés et des retraités, et d’impliquer ainsi les syndicats dans l’attaque sur les salaires. Ce qui a d’ailleurs en partie réussi, puisque les syndicats minoritaires l’ont approuvé.

Ce qui soulève d’ailleurs la question de savoir si une minorité peut signer un accord tripartite respectivement si cet accord peut être considéré comme valable dans de telles circonstances.

Le cadeau de plusieurs centaines de millions d’euros aux entreprises est accompagné par la division « solidaire » du salariat, financée par nos finances publiques. Le gouvernement tente de faire passer pour de la justice sociale cette subvention salariale aux entreprises, déguisée en dépense publique, en utilisant le newspeak propagandiste du « paquet de solidarité », ignorant ainsi l’essentiel.

Il ignore tout d’abord une autre promesse que le gouvernement n’a pas tenu non plus. A savoir qu’il n’y aurait pas d’augmentation d’impôts jusqu’à la fin de son mandat législatif en 2023. C’est faux et c’est un mensonge !

Depuis la réforme fiscale de 2017, le gouvernement n’adapte ni le barème fiscal pour les personnes physiques ni les crédits d’impôt à l’inflation ! Un autre vol d’index du gouvernement ! A chaque adaptation de l’indice des salaires et des pensions, le montant net est rogné de manière excessive par la soi-disant charge fiscale progressive. Ce tour de passe-passe fiscal permanent du gouvernement, également appelé « progression à froid », est une hausse d’impôt brutale qui frappe injustement les classes de revenus inférieures et moyennes et réduit le montant net des tranches d’indexation au profit des recettes fiscales de l’État.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas envisagé d’adapter le barème fiscal et les crédits d’impôt en tripartite afin de désamorcer sa manipulation indiciaire superflue en termes de pouvoir d’achat ? La réponse à cette question est banale et révoltante : le gouvernement, s’il lui est accordé un nouveau mandat, entend répéter le même scénario qu’il avait déjà mis en scène lors de la réforme fiscale de 2017. S’il s’agissait alors de compenser les hausses d’impôts de la progression à froid entre 2009 et 2017, « vendues » à la population comme des allègements fiscaux, le même jeu politique devrait pouvoir se répéter lors de la prochaine réforme fiscale. Les hausses d’impôts et les pertes de pouvoir d’achat cumulées depuis 2017 nous seront alors à nouveau présentées comme des allègements fiscaux.

Le gouvernement aurait pu éviter cette « arnaque » et tenir sa promesse de ne pas augmenter les impôts, tout en renonçant à la division « solidaire » du salariat et des retraités. Rappelons à cet égard que le gouvernement a baissé une deuxième fois l’imposition des entreprises après la réforme fiscale de 2017 !

Les lacunes de l’action politique du gouvernement. Une liste qui ne cesse de s’allonger

Et si l’arrêt de la progression à froid par l’adaptation du barème fiscal et des crédits d’impôt avait été insuffisant d’impact au regard de la situation sociale des bas revenus, la question suivante se pose aux partis du gouvernement : pourquoi vous vous obstinez à vous opposer à l’adaptation substantielle, attendue depuis longtemps, de l’allocation de vie chère, qui n’a pas été adaptée à l’évolution générale des revenus depuis 2009 ? Les deux augmentations de 10% resp. 200 € (2021 et 2022) compensent tout au plus le mouvement d’inflation jusqu’en 2021. Et pourquoi, pour la compensation sociale des augmentations de la taxe CO2 en 2022 et 2023, ne pas simplement adapter le crédit d’impôt déjà existant ?

Et si, suite à la pression politique exercée après le pitoyable « accord tripartite », le gouvernement vient d’annoncer l’indexation des prestations familiales aux dates prévues, cela soulève la question de savoir quand le gouvernement mettra enfin fin à son manquement à la parole donnée dans le cadre de l’accord  « Paquet d’avenir » de 2014 et adaptera les prestations familiales à l’évolution générale des salaires, au lieu de se contenter de les indexer ? Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour cela.

Même si l’adaptation de l’allocation de loyer, réclamée depuis longtemps par l’OGBL, est une bonne chose, cette mesure ne cache pas le fait que le gouvernement n’a toujours pas fait de proposition de réforme via la loi sur le bail à loyer qui lierait l’évolution des loyers à celle des salaires et n’a toujours pas mis en place de mesure légale contre la spéculation galopante dans le secteur immobilier.

A l’adresse de ceux qui font maintenant leurs adieux à la question de la répartition entre le capital et le travail et qui veulent faire au contraire de la répartition entre les « mieux payés » et les « moins payés » du salariat l’objet de leurs efforts politiques, il faut dire que cette perversion idéologique des rapports sociaux ne peut pas se faire avec l’OGBL.

Si quelqu’un veut discuter des écarts et des hiérarchies salariales, il ne devrait pas s’attaquer à la loi sur l’indexation, mais se concentrer sur les deux autres lois sur les salaires. A savoir la loi sur les conventions collectives et la loi sur le salaire social minimum. Le programme de coalition 2018-2023 prévoit une discussion sur la réforme de la loi sur les conventions collectives, qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Jusqu’à présent, rien n’a été fait. Et l’augmentation structurelle du salaire minimum légal se limite à 0,9 % après huit ans de mandat gouvernemental ! Enfin, la progression fiscale à froid décrite ci-dessus grignote grassement l’augmentation nette de 100 € garantie en 2019.

La manipulation de l’index touche tout le monde et constitue une redistribution superflue et économiquement inutile dans les poches du patronat.

Il s’agit d’une attaque contre les salaires qui n’a absolument rien à voir avec la solidarité. Le fait que, pour les bas salaires, cette intervention salariale soit atténuée par le recours aux finances publiques n’y change rien. Une telle nouvelle définition du rôle redistributif de l’État est une aberration sociale et n’est pas digne de la tradition historique des mouvements politiques progressistes.

Et à l’adresse de ceux qui veulent nous faire croire qu’il n’y aura pas d’échéance d’une tranche indiciaire en 2023, et donc pas de nouveau report, parce que lors de la tripartite le Statec a prévu une inflation de 1,3% pour 2023, je dirai ceci : pourquoi manipuler l’index maintenant si le taux d’inflation tombe à 1,3% en 2023 et pourquoi, dans ces conditions, violer l’accord de 2014 en reportant la deuxième tranche indiciaire de 2022 ?

D’où mon appel aux députés du Parlement luxembourgeois à rejeter l’accord tripartite. Il y a encore une fenêtre d’opportunité pour changer d’avis et désamorcer le conflit social.

André Roeltgen