Mise au point

Alerte! Alerte! «L’Etat-syndicat» est en marche!

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André Roeltgen, Président de l’OGBL

Le dialogue social n’a mené qu’à des défaites pour le patronat au cours des 40 dernières années. C’est ce qu’a affirmé le président de l’UEL, le 18 septembre, face au ministre du Travail et des présidents des syndicats représentatifs au niveau national, avant d’annoncer tout simplement, qu’à partir de maintenant, pour le camp patronal, les négociations à trois au Comité permanent du travail et de l’emploi appartenaient au passé.

Venant d’un haut représentant du patronat, une telle interprétation de l’action et du bilan du modèle luxembourgeois fondé sur le partenariat social n’a, à ma connaissance, pas d’équivalent dans l’histoire. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette curieuse approche du «modèle luxembourgeois» devrait susciter un profond étonnement et un sentiment d’étrangeté, pas uniquement chez les syndicats. La liste d’anciens hauts représentants du patronat, qui soulignèrent constamment la portée positive du «modèle luxembourgeois» pour le développement économique et social du Luxembourg et qui y voyaient le garant de cette si précieuse paix sociale pour notre pays, est longue en effet.

Quelle appréciation confuse des réalités politiques et sociales historiques! Faut-il y voir un dérapage? Ou bien, et tout semble l’indiquer, un renoncement stratégique au dialogue social institutionnalisé de la part du patronat, ou du moins d’une partie du patronat luxembourgeois? Celui qui considère des compromis négociés entre partenaires sociaux comme étant des défaites, comme le fait le président du patronat, n’aspire pas vraiment à l’équilibre des intérêts avec les autres partenaires de négociation. L’équilibre, dans ce cas, avec les intérêts légitimes de l’ensemble du salariat luxembourgeois.

Quel retour en arrière, vers des temps que l’on croyait révolus. Quand le patronat s’opposait au moindre progrès social, aussi bien en matière de droit du travail que de droit social et qu’il inventa la notion de «l’Etat-syndicat menaçant», pour discréditer et ignorer les intérêts des travailleurs.

Rappelons dans ce contexte que les employeurs ont déjà boycotté le Conseil économique et social luxembourgeois en 2010. Et qu’en 2014, ils ont snobé le gouvernement, lorsque celui-ci a rétabli l’indexation normale des salaires et des pensions. Cette posture n’a d’ailleurs pas évolué jusqu’à aujourd’hui. Leur opposition catégorique à la réforme du dialogue social en entreprise, nécessaire depuis longtemps, que le Parlement a voté en 2015, n’est pas oubliée non plus.

Ni leur tentative, ratée heureusement, de se soustraire aux cotisations sociales pour les prestations en nature de la Caisse nationale de santé. Et aujourd’hui encore, les employeurs continuent de brailler contre la nouvelle loi relative à l’organisation du temps de travail (loi PAN), parce que leur revendication unilatérale qui visait une flexibilisation totale du temps de travail s’est heurtée à la résistance de l’OGBL.

Ca suffit maintenant! La récente rupture du dialogue social, des négociations sociales au sein du CPTE, constitue une déclaration de guerre scandaleuse à l’encontre des droits de négociation institutionnalisés de tous les salariés au Luxembourg.

Et elle constitue un refus irresponsable adressé à la politique de ce gouvernement qui, lors de son entrée en fonction, en 2014, a souligné la nécessité de revaloriser le dialogue social. Cette ambition est satisfaite par l’actuel programme gouvernemental qui, parmi d’autres choses, n’aspire pas seulement à renforcer le dialogue social dans le cadre du CPTE, mais pose comme prioritaire la promotion générale du système luxembourgeois de conventions collectives. Sans parler de la nécessaire adaptation de la fonction protectrice du droit du travail aux nouvelles et futures évolutions du monde du travail.

Par ailleurs, le coup bas du patronat à l’encontre du dialogue social contredit le protocole du «socle européen des droits sociaux» signé par le gouvernement en 2018.

Le 25 septembre, les syndicats représentatifs au niveau national – la CGFP, le LCGB et l’OGBL – se sont accordés sur le fait qu’ils n’accepteront pas l’attaque patronale à l’encontre de la cogestion et des droits de négociation syndicaux. Le 19 novembre se tiendra une première manifestation de protestation des syndicats contre le boycott du patronat et pour un droit du travail progressiste. Les syndicats ont fait part au gouvernement de leur volonté toujours intacte de traiter, dans le cadre de négociations tripartites au sein du CPTE, les sujets énumérés dans le programme gouvernemental en matière de droit du travail.

Les syndicats ont également décidé de créer une plateforme commune «Travail 4.0», en vue de relier les intérêts et besoins de tous les salariés dans le nouveau monde du travail à l’ère de la digitalisation, tout en aspirant à une société et à une économie faibles en émissions de carbone. Pour des contrats de travail qui excluent des relations de travail précaires. Pour la sécurisation des perspectives sociales et professionnelles. Pour une protection préventive et améliorée contre les licenciements. Pour des perspectives et des droits progressistes en matière de formation professionnelle continue. Pour une meilleure qualité du travail et une meilleure organisation du temps de travail permettant une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Pour la négociation de modèles de temps de travail innovants dans le cadre de conventions collectives. Pour la promotion générale du système de conventions collectives et son adaptation au monde du travail d’aujourd’hui et demain.

André Roeltgen, président de l‘OGBL
Octobre 2019