Le travailleur intérimaire post-COVID: de l’enfant délaissé au V.I.P.

Un jeu-concours organisé par une agence d’intérim très connue au Luxembourg fait actuellement le buzz. En effet, les intérimaires de l’agence en question ont la possibilité de gagner un séjour d’une semaine «all inclusive» en Grèce à condition de travailler au moins un jour sous contrat avec cette agence entre le 19 janvier et le 31 mars 2022.

De quoi faire rêver les travailleurs intérimaires qui, semblerait-t-il, font défaut alors que le marché de l’emploi et l’économie reprennent pleinement et sont en plein essor. Si ce coup de marketing est plutôt original et pourrait donner l’impression que les travailleurs intérimaires sont valorisés et accueillis à bras ouverts tout en bénéficiant de conditions de travail formidables, celui-ci soulève néanmoins des questions.

Ainsi, on peut se demander pourquoi les travailleurs intérimaires ont besoin d’une telle incitation pour s’inscrire dans une agence d’intérim (on pourrait même aller plus loin en se demandant: pourquoi ont-ils besoin d’une incitation pour s’inscrire dans cette agence d’intérim en particulier)? Les demandeurs d’emploi seraient-ils devenus plus réticents à s’inscrire dans une agence d’intérim en cette période post-COVID? Et si oui, pourquoi?

En effet, organiser un jeu-concours qui fait sous-entendre que le travailleur intérimaire dans le monde du travail luxembourgeois serait accueilli comme un enfant roi frise l’ironie. Il ne faut pas oublier que les intérimaires sont le dernier maillon de la chaîne au Luxembourg et qu’ils ont été parmi les premières victimes de la pandémie.

Retour en mars 2020: le gouvernement luxembourgeois annonce le «lockdown» et renvoie tous les salariés à la maison. Des aides étatiques, notamment le chômage partiel, sont mis en place afin de préserver et prioriser le maintien dans l’emploi. Pendant ce temps, des dizaines et des dizaines de travailleurs intérimaires contactent l’OGBL parce que les agences intérimaires les ont convoqués et poussés à signer une résiliation d’un commun accord de leur mission de travail… sans contrepartie extra-légale, bien-sûr. La réponse à l’époque d’un directeur d’une agence intérimaire interpellé à ce sujet était sans équivoque: «Oui, mais il faut aussi nous comprendre, les entreprises (utilisatrices) ne veulent plus payer les missions des intérimaires, enfin, c’est compliqué pour tout le monde…».

Mais aussi en dehors de la pandémie, les travailleurs intérimaires doivent faire face à des conditions de travail non seulement difficiles, mais carrément illégales: contrats de mission signés avec l’agence intérimaire après le délai légal (voire à la fin de la mission); retards ou manquements total d’affiliation à la sécurité sociale; non-respect du salaire social minimum; multiplication de contrats de mission à courte durée (il n’est pas rare que des intérimaires travaillent pendant des années pour la même entreprise utilisatrice, mais que leurs contrats de mission soient renouvelés chaque semaine par exemple); exclusion des travailleurs intérimaires des avantages de la convention collective de l’entreprise utilisatrice (discrimination entre les salariés permanents et les travailleurs intérimaires) … ; pour ne citer que quelques exemples.

Il est évident que de tels jeux-concours ne sont pas la panacée pour ces travailleurs vulnérables, contraints d’accepter les conditions de travail les plus désagréables compte tenu de leur lien de dépendance envers les agences d’intérim et les entreprises utilisatrices.

Bien au contraire, ce qu’il faut, ce sont enfin des réformes légales qui protègent davantage les travailleurs intérimaires.

Fin décembre 2019 déjà, l’OGBL avait rencontré l’ancien ministre du Travail Dan Kersch et lui avait soumis son catalogue de revendications, qui comprenait notamment des sanctions plus accrues et davantage de contrôles de l’ITM; l’introduction d’une limitation du nombre (taux) maximal d’intérimaires par entreprise; l’obligation légale d’établir un contrat de mission avant le début de la prestation du travail intérimaire; la limitation des contrats de mission à courte durée; la conversion en CDI en cas de prolongation;… .

Si le dossier a certes été abordé et discuté fin 2019 dans le cadre du Comité Permanent du Travail et de l’Emploi (CPTE), il a toutefois été mis en suspens depuis le début de la crise sanitaire. L’OGBL appelle dès lors à ce que ce dossier relatif au travail intérimaire soit repris lors des prochaines réunions du CPTE afin de trouver, une fois pour toutes, des solutions durables.

Communiqué par le syndicat Services et Energie de l’OGBL
le 23 février 2022