le produit qui rend les riches plus riches et fait grimper les prix des logements !
Avec la loi du 13 février 2007, le Luxembourg a créé une alternative aux fonds de placement traditionnels avec le Fonds d’Investissement Spécialisé, ou FIS.
L’horizon d’investissement de ce fonds est presque illimité. Il peut investir dans de nombreux types d’actifs : actions, fonds, instruments dérivés, biens immobiliers, obligations, devises, etc.
Or les FIS font l’objet d’un nombre croissant de critiques.
Leur traitement fiscal avantageux n’a pas seulement pour conséquence de priver la collectivité de recettes considérables. En plus de leur flexibilité d’investissement, les FIS bénéficient d’un traitement fiscal qui en fait également un outil « par excellence » dans la spéculation foncière. Les FIS attisent la flambée dangereuse des prix immobiliers tout en profitant dans le même temps de cette spirale haussière, qui leur offre des plus-values disproportionnées.
En mars 2019, le nombre de FIS s’élevait à 1.503, pour un patrimoine net de 540,5 milliards d’euros. Sur ce patrimoine net, 74,381 milliards d’euros sont investis dans des valeurs immobilières. Dans la répartition des investissements des FIS, le secteur immobilier occupe la 4e place et constitue à ce titre un pilier de leur politique de placement.
Faute de statistiques accessibles au public, on ignore quelle proportion de ces presque 75 milliards d’euros sont investis dans des terrains et des biens immobiliers au Luxembourg, ni quelle part est détenue par des personnes domiciliées au Luxembourg.
Comme dans un club privé
L’accès aux FIS est réservé aux investisseurs institutionnels, ainsi qu’à une poignée d’investisseurs privés : ceux qui sont déjà riches. Si la somme investie est trop faible, certaines charges comme les frais de gestion annulent les bienfaits de l’avantage fiscal attendu.
De plus, la plupart des FIS sont constitués sous la forme de sociétés en commandite par actions (SCA). Pour faire simple : lorsqu’un investisseur intéressé remplit toutes les conditions requises pour bénéficier d’un accès théorique à un FIS, il doit encore être approuvé par le gérant, l’associé commandité ou le conseil d’administration du fonds.
La comparaison avec un club privé, qui sélectionne ses membres à l’entrée, n’a donc rien d’absurde. Celui qui jure avec l’« élite » des fortunés doit rester dehors et se contenter simplement d’une forme juridique moins avantageuse fiscalement, comme la Société Civile Immobilière (SCI), ou accepter la peine maximale fiscale réservée aux citoyens lambda achetant ou louant leur logement.
La cerise sur le gâteau. Le FIS « parapluie »
Revenons-en aux FIS. Un FIS peut revêtir de nombreuses formes juridiques. Dans cet article, nous n’abordons que la forme de société d’investissement à capital variable (SICAV). Fondamentalement, les SICAV sont soumises aux dispositions générales applicables aux entreprises commerciales. Or la loi FIS a créé tout un ensemble de dérogations pour les FIS-SICAV.
Une des formes spécifiques des FIS-SICAV est ce que l’on appelle le FIS «Umbrella» (càd «parapluie»), divisé en plusieurs compartiments. Dit simplement : les compartiments individuels créent des unités autonomes, fonctionnent commercialement avec leur propre portefeuille (séparé de celui des autres compartiments) et peuvent être détenus par un ou plusieurs investisseurs n’ayant rien à voir avec les autres compartiments.
Et c’est là que ça devient passionnant. La possibilité de diviser le FIS-SICAV en différents compartiments allège la gestion et l’investissement individuels. Grâce à des possibilités d’investissement presque illimitées, des particuliers peuvent utiliser un compartiment, voire tout le FIS, comme société d’investissement privée, laquelle bénéficie d’une fiscalité nettement plus avantageuse qu’une entreprise commerciale classique.
En fait, du point de vue de la fiscalité, le FIS, et en particulier le FIS-SICAV, devrait être assujetti aux mêmes réglementations que les sociétés de capitaux. Et pourtant ce n’est pas le cas.
Contrairement à d’autres sociétés de capitaux, le FIS est exonéré de tous les impôts sur le patrimoine et sur le revenu, y compris l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC), l’impôt commercial communal (ICC) et l’impôt sur la fortune (IF). La charge fiscale de ces fonds est réduite de facto à la taxe d’abonnement annuel, qui s’élève en tout et pour tout à 0,01% du total de l’actif net du FIS-SICAV !
De plus, l’engouement de tous les spéculateurs est à son paroxysme dès lors que l’intégration d’un terrain ou d’un bâtiment dans le fonds n’est soumise qu’à une imposition marginale : 0,6% de frais d’enregistrement et 0,5% de droits de transcription. Les spéculateurs immobiliers ont donc le champ libre pour détenir pendant des décennies leurs biens et terrains au sein de FIS-SICAV tout en échappant à toute imposition.
Les investisseurs étrangers ne sont assujettis à aucune taxe sur les dividendes ni sur la vente de participations, ni sur les revenus, par exemple ceux qui proviennent des loyers ou de la dissolution du FIS. A noter cependant que les actionnaires étrangers sont probablement soumis à l’impôt sur les dividendes et les revenus du capital dans leur propre pays de résidence. Toutefois, il est également possible que ces investisseurs bénéficient d’une des nombreuses conventions bilatérales conclues par le Luxembourg avec d’autres pays pour éviter la double imposition.
Pour les actionnaires ou porteurs de parts des FIS domiciliés au Luxembourg, la distribution de dividendes est assujettie à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Mais cela relève uniquement de la théorie, car en règle générale, les FIS évitent de distribuer des dividendes.
Le summum du scandale
Lorsque l’actionnaire ou le porteur de parts d’un FIS domicilié au Luxembourg vend ses actions ou ses participations d’un compartiment, il paye un impôt sur la plus-value sur la base 1). de la durée d’investissement et – suivez bien – 2). du pourcentage de la valeur vendue par rapport à l’ensemble du capital du FIS. (Voir tableau ci-dessous).
Autrement dit, pour une durée d’investissement normale (plus de 6 mois), la plus-value de cession des actions/participations d’un compartiment est exonérée d’impôt si la participation de l’actionnaire demeure inférieure à 10% du capital du FIS-SICAV. Bien que le compartiment soit une unité économiquement indépendante, et que par conséquent, l’on puisse supposer que la participation doive être calculée par rapport au capital de ce même compartiment, c’est par rapport au capital de l’ensemble du fonds qu’est calculée la charge fiscale. Un non-sens total – d’un point de vue fiscal.
Un exemple pour mieux comprendre
En 2019, un FIS-SICAV est créé par 11 spéculateurs immobiliers.
Ceux-ci divisent le FIS en 11 compartiments. Chaque spéculateur apporte au sein de son compartiment les terrains et les immeubles qu’il détient, chacun à hauteur de 50 millions d’euros.
Tous sont luxembourgeois et les biens qu’ils détiennent se situent au Luxembourg. Chacun d’entre eux possède ainsi 100% des parts de son compartiment personnel, représentant un actif net total de 50 millions d’euros. L’ensemble du FIS-SICAV dispose donc d’un patrimoine de 550 millions d’euros.
En l’espace de 10 ans, la valeur de l’actif de chaque compartiment double grâce à la hausse des prix immobiliers et des revenus (par exemple les loyers), et atteint 100 millions d’euros. L’actif total du FIS s’élève donc à 1,1 milliard d’euros.
Unique charge fiscale : la taxe d’abonnement annuelle de 0,01% de l’actif net du FIS.
En 2029, après 10 ans exactement, un des investisseurs décide de liquider 100% de son compartiment personnel, tandis que les 10 autres investisseurs restent en possession de leurs compartiments respectifs.
La loi prévoit une taxe sur la plus-value en capital (qui se monte à 50 millions d’euros). Mais parce que la durée de cet investissement dans un compartiment personnel est supérieure à 6 mois, l’investisseur n’est pas soumis à l’impôt progressif de 45,78% maximum.
Au contraire, il est totalement exonéré d’impôt!!!! Même le taux diminué de moitié (22,89% maximum) n’est pas appliqué, parce que le seuil de 10% de l’actif net total n’est PAS calculé au niveau du compartiment, MAIS du FIS-SICAV, qui représente maintenant 1,1 milliard d’euros.
Par rapport à ce 1,1 milliard d’euros, la valeur du compartiment vendu (100 millions d’euros) représente seulement 9,1%. Conséquence : parce que la participation du spéculateur au capital du FIS est inférieure à 10%, ce dernier ne paye pas un CENTIME d’impôt sur une plus-value de 50 millions d’euros.
Ce paradis des spéculateurs doit être supprimé
En fonction de la structure du FIS utilisé, les plus-values en capital sont quasiment exonérées d’impôt à 100% ! Ces plus-values non imposables incitent les riches à vouloir plus : de nouvelles possibilités d’investissement dans des transactions immobilières très rentables.
Cette optimisation fiscale autorisée par la loi stimule la demande et attise la flambée des prix de l’immobilier – au détriment du pouvoir d’achat et de la qualité de vie du reste de la population !
De même, rien ne peut justifier le taux d’imposition réduit de moitié appliqué dans l’autre cas (>10%). Que ce soit en comparaison avec l’imposition des salaires, ou avec celle pratiquée au niveau des entreprises.
Au nom de la justice fiscale et de la nécessité de mettre un terme au plus vite à la spéculation foncière des riches à l’origine de l’envolée des prix, l’OGBL exige du gouvernement luxembourgeois la suppression de ces instruments d’investissement dans le secteur immobilier.