La décarbonisation des sociétés et de l’économie mondiale est un enjeu crucial. Le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficience énergétique des bâtiments vont créer de nombreux nouveaux emplois. En même temps, un certain nombre d’emplois liés aux énergies fossiles sont voués à disparaître à terme. Cela pose la question de la requalification et de l’emploi des travailleurs concernés.
Le concept de la «transition juste» comme réponse aux défis sociaux de la transformation écologique est aujourd’hui largement présent dans le débat public. La nouvelle Commission européenne l’a repris et souligne, dans le cadre du «Green Deal» qu’elle vient de proposer, la nécessité de soutenir les régions les plus touchées par la décarbonisation de l’économie. L’accord de Paris sur le climat, conclu en 2015, mentionne dans sa préambule la nécessité «de tenir compte des impératifs d’une transition juste pour la population active et la création d’emplois décents et de qualité».
L’idée de la transition juste a été élaborée par le mouvement syndical et représente à ce jour la principale contribution des syndicats au débat sur le climat. Le concept a été développé par la Confédération syndicale internationale (CSI), qui représente 206 millions de membres dans 163 pays. La CSI, dont l’OGBL est membre, s’engage de façon résolue pour des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 depuis la conférence de Copenhague de 2009 sur le changement climatique. En parallèle, la CSI réclame une transition juste pour les travailleurs dont l’emploi est impacté par la décarbonisation. Les piliers essentiels de la transition juste sont des investissements publics en vue de la création d’emplois verts, la planification de la transition, le dialogue social, des opportunités de formation professionnelle pour les travailleurs et des systèmes de protection sociale performants.
Avant de devenir une revendication clé du mouvement syndical à l’adresse des décideurs politiques et économiques, la transition juste a permis au mouvement syndical international de surmonter ses divisions internes par rapport aux politiques climatiques. En 1997, lors de la conclusion de l’accord de Kyoto, le mouvement syndical avait été incapable de prendre clairement position. En particulier la confédération syndicale des Etats-Unis AFL-CIO refusait de soutenir l’accord de Kyoto parce qu’il ne fixait pas d’objectifs de réduction des émissions de CO2 aux pays en voie de développement. Les syndicats de mineurs nord-américains, en alliance avec les entreprises minières, étaient fortement opposés à toute action climatique ambitieuse. D’autres composantes du mouvement syndical international, en particulier les syndicats européens, réclamaient en revanche une politique climatique plus ambitieuse. En développant la revendication d’une transition juste, les dirigeants de la CSI ont finalement rendu possible un engagement plus poussé du syndicalisme international sur l’enjeu climatique.
L’urgence climatique rend nécessaire une accélération de la décarbonisation au cours des années à venir. Des chercheurs ont montré que les lobbies liés à l’industrie fossile ont exercé au cours des dernières décennies une action concertée pour mettre en doute l’existence du changement climatique et retarder ou empêcher l’action climatique. Dans de nombreux secteurs, les entreprises exercent aussi des formes de chantage à l’emploi, en faisant pression sur les salariés et leurs représentants pour qu’ils s’opposent à des politiques de réduction des émissions.
Ici intervient la responsabilité du mouvement syndical pour affirmer une politique indépendante sur les enjeux climatiques au niveau des entreprises et des secteurs d’activité. Les syndicats sont en mesure d’occuper une position centrale sur la question du changement climatique: présents dans les entreprises, ils maîtrisent les débats sur l’évolution des systèmes productifs, et sont en même temps capables de défendre l’intérêt général en matière d’environnement et de santé publique. Au cours de son histoire, le syndicalisme a su se réinventer à de nombreuses reprises. Il a intégré de nouvelles thématiques et de nouvelles revendications: droit des femmes, intégration des immigrés, santé et sécurité au travail. La décarbonisation de l’économie et des sociétés est l’enjeu majeur du 21e siècle, auquel le mouvement syndical doit répondre.